L'évolution des bornes de recharge en France s'inscrit dans un siècle de transformations technologiques et politiques. D'abord rudimentaires, ces infrastructures sont devenues un levier stratégique de la transition énergétique. Retour sur une progression marquée par des ambitions industrielles et écologiques.


Les prémices : la colonne de charge du XIXe siècle

Tout d'abord, c'est à la fin du XIXe siècle que naissent les premières idées de recharge pour véhicules électriques. À l'époque, on parle de colonne de charge, un dispositif dont le format rappelle celui des boîtes aux lettres. Pour recharger son véhicule, l'utilisateur insère un jeton dans le compteur, active des coupe-circuits, règle un interrupteur bipolaire, et choisit l'intensité de charge (de 25 à 80 ampères) via un rhéostat. Cette méthode artisanale marque le début d'un long chemin vers l'autonomie électrique.


Les années 2010 : la structuration d'un cadre juridique et technique

Plus d'un siècle plus tard, en 2010, la France entame un tournant décisif avec la loi Grenelle 2, qui autorise les collectivités à installer des stations de recharge publiques lorsque l'offre privée est jugée insuffisante. Afin de contourner les contraintes liées à la vente directe d'électricité, ces stations sont considérées comme des services globaux, incluant la recharge.

Dans le même temps, le 13 avril 2010, douze collectivités signent une charte de déploiement d'infrastructures publiques. Ensuite, en 2011, un Livre vert est publié pour fixer les normes techniques des bornes et imposer une concertation obligatoire avec les gestionnaires de réseau (ERDF notamment). Ce cadre est mis à jour en 2014, puis précisé par décret en 2017.


2012-2014 : accélération nationale et projets expérimentaux

À partir de 2012, les ambitions se renforcent. Dans le cadre du plan de soutien à l'automobile, la mission Hirtzman est lancée pour coordonner et accélérer le développement du réseau. L'objectif est clair : favoriser l'implantation de bornes éco-conçues, intégrées aux réseaux intelligents, dans la logique de « l' Internet de l'énergie » proposée par Jeremy Rifkin.

Par ailleurs, le projet Infini DRIVE , lancé en 2011, est soutenu par l'ADEME. Il rassemble des partenaires publics et privés (La Poste, ERDF, G2mobility, Armines…) pour expérimenter une recharge pilotée dynamiquement, adaptée aux besoins en temps réel. Ce projet s'achève en 2014.

Dans la foulée, un autre acteur majeur émerge : le GIREVE, créé en 2013. Ce groupement d'intérêt économique (EDF, Renault, GDF Suez…) vise à garantir l' interopérabilité des réseaux de recharge sur tout le territoire.


2015-2018 : massification et implication du secteur privé

Dès 2014, le secteur privé s'implique davantage. Le groupe Bolloré propose d'installer 16 000 bornes pour un investissement de 150 millions d'euros. Cette initiative s'inscrit dans les objectifs fixés par la loi sur la transition énergétique , qui ambitionne sept millions de points de recharge d'ici 2030 .

Parallèlement, le programme Advenir est lancé en 2016. Son but : soutenir l'installation de bornes dans les immeubles collectifs et parkings d'entreprises via les certificats d'économie d'énergie . Ce dispositif vise 12 000 points d'ici fin 2018, financé notamment par EDF, l'Avere-France et l'ADEME.

En conséquence, les installations se multiplient. En 2016, 12 800 bornes sont recensées, dont 6 200 émissions de réseaux d'autopartage . Les collectivités locales en ont déployé 2 000, avec l'objectif d'en ajouter 20 000 d'ici 2018. Fait notable, plus de 50 % des ventes de Renault Zoé concernent la zone rurale , contredisant l'idée que la voiture électrique est réservée aux villes.


2020-2022 : montée en puissance de la recharge rapide

Avec la décennie suivante, l'accent est mis sur la vitesse et la performance. En octobre 2020, le gouvernement lance le programme « Objectif 100 000 bornes » , qui revalorise les aides à l'installation. Ainsi, les subventions peuvent désormais atteindre 9 000 € pour les bornes rapides (plus de 50 kW), et 75 % des frais de raccordement sont pris en charge.

Puis, en février 2021, une enveloppe de 100 millions d'euros est dédiée aux stations ultrarapides sur autoroutes et voies rapides. L'objectif est d'équiper 440 aires de service d'ici fin 2022. Un décret fixe les subventions : entre 10 et 30 % des coûts, avec un bonus pour les premiers projets, et un soutien renforcé pour le raccordement.


2024-2025 : un réseau plus dense, mais encore inégal

En octobre 2024, la France a atteint un nouveau palier : plus de 150 000 points de recharge publics sont en service. Toutefois, cette croissance cache encore des déséquilibres. En effet, seulement 10 % de ces bornes offrent une puissance supérieure ou égale à 150 k, permettant une recharge rapide (80 % en moins de 30 minutes).

Cette année, les efforts se poursuivent pour densifier le réseau, particulièrement en matière de recharge rapide. De nouveaux appels à projets portés par l’ADEME et les régions visent à équiper les zones périurbaines, rurales et les zones logistiques encore peu couvertes. En parallèle, le programme Advenir est prolongé et élargi : il intègre désormais des aides spécifiques pour les collectivités ultramarines et pour les infrastructures destinées aux flottes professionnelles.

Par ailleurs, le gouvernement annonce la mise en place d’un observatoire national de la qualité de service des bornes de recharge, en partenariat avec l’Avere-France, pour répondre aux critiques croissantes sur la fiabilité, la disponibilité et la compatibilité des infrastructures. Une signalétique unifiée et des QR codes standardisés sont progressivement déployés sur les bornes afin d’informer les usagers en temps réel sur les tarifs, les puissances disponibles et l’état de fonctionnement.

Plusieurs métropoles, dont Lyon, Bordeaux et Lille, expérimentent à présent la recharge bidirectionnelle (V2G), permettant aux véhicules électriques de restituer de l’énergie au réseau lors des pics de consommation.